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Rappel historique et politique sur le pays de Retz

pendant l’entre-deux guerres.

annexe à
Écho d’un pays disparu

Récits de la vie ordinaire en pays de Retz entre 1900 et 1960

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Pour compléter le décor où s’inscrivit l’enfance et la jeunesse des protagonistes de ce livre, il faut rappeler le climat politique qui régnait alors sur les campagnes de l’Ouest, et plus spécialement sur celles du pays de Retz où quatre habitants sur cinq vivaient encore dans des fermes. Dans les départements du Finistère, du Morbihan et de Loire-Inférieure, où la noblesse occupait plus des deux tiers des postes d’élus, l’aristocratie rurale appuyée sur l’église catholique exerçait sur tout le corps social une sorte d’autorité naturelle. Voilà le trait dominant. Dans les départements bretons et en particulier dans le bassin de Rennes, cette domination nobiliaire commença d’être battue en brèche dès avant la guerre de 14, mais il n’en fut rien en Loire-Inférieure avant la deuxième guerre mondiale, et parfois même dans certains secteurs, largement après. Certaines familles comme celles des marquis de La Ferronnays ou de Montaigu constituèrent même des dynasties qui, des années 1880 à 1940, se firent élire sans discontinuer à la mairie ou à la chambre des députés, constituant autour d’elles une sorte de contre société catholique inamovible.

À la veille de la guerre de 14-18, c’est M. Jollan de Clerville qui présidait le Conseil général de Loire-Inférieure, assisté du marquis de Montaigu et du marquis de La Ferronnays, vice-présidents, de M. Le Cour Grandmaison et du comte de La Ruelle, secrétaires * . Parmi une liste d’une cinquantaine de conseillers généraux, outre ceux déjà nommés, on ne comptait pas moins d’une vingtaine d’aristocrates, dont le Chevalier La Barthe, le marquis de Dion, le comte Le Gualès de Mézaubran, le marquis de Bellevue, le comte Ginoux-Defermon, le vicomte de Charrette, le marquis de Juigné, le comte de La Villes-Boisnet… Autant de noms qui pour nombre de familles rurales de Loire-Inférieure de l’entre-deux guerre, renvoient à des visages et des usages ayant laissé la marque d’une domination sans partage des rouages économiques et politiques, à une main mise massive sur la propriété foncière, et plus globalement à une domination morale et idéologique sur toute une communauté rurale débordant largement le monde paysan lui-même. Ainsi l’entretien des écoles, chapelles ou locaux paroissiaux dépendaient pour l’essentiel de leur générosité, et pas une remise de prix à la fin d’une année scolaire sans leur présence auprès des maîtres, frères des écoles chrétiennes ou religieuses. Il n’était pas rare que Monsieur le marquis lui-même, ou Madame, remissent les gros ouvrages à couverture rouge aux enfants les plus méritants.         accueil site

Voici la liste des présidents du conseil général de Loire-Inférieure depuis sa création en 1800, avec comme 1er. président le négociant négrier nantais Christophe-Clair Danyel de Kervégan (1800 - 1805). Il fut suivi de Louis Bureau de la Batardière (1806) ; François Tardiveau (1807 - 1813) ; Louis Monti de la Cour de Bouée (1814 - 1815) ; Jean Baron (1816 - 1826) ; Louis de Sesmaisons (1827 - 1829) ; Évariste Colombel (1831 - 1833) ; Louis Rousseau de Saint-Aignan (1834) ; François Bignon (1835 - 1847) ; Charles Poictevin de la Rochette (1848) ; Mériadec Laennec (1849) ; François Bignon (1850 - 1851) ; Ferdinand Favre (1852 - 1866) ; Anselme Fleury (1867 - 1869) ; Charles Leclerc de Juigné (1870) ; Guillaume Harmange (1871) ; Olivier de Sesmaisons (1872 - 1873) ; René Moysen de Codrosy (1874 - 1875) ; Clément Baillardel de Lareinty (1876 - 1900) ; Henri Ferron de la Ferronnays (1901 - 1907) ; Jules Jamin (1908 - 1919) ; Adolphe Jollan de Clerville (1920 - 1930) ; Henri Ferron de la Ferronnays (1931 - 1940) ; Abel Durand (1945 - 1970) ; Jean du Dresnay (1970 - 1976) ; Charles-Henri de Cossé-Brissac (1976 - 1994) ; Luc Dejoie (1994 - 2001) ; André Trillard (2001 - 2004). Depuis 2004, le dernier président en exercice est Patrick Mareschal. Rappelons que c’est avec lui qu’intervient la première « bascule à gauche » du Conseil Général de Loire-Atlantique. 

 Il faudrait décrire la manifestation quotidienne de multiples formes de pouvoir des « châtelains » s’exerçant à travers la gestion des fermes par leurs régisseurs, mais aussi à travers les chasses, les corvées plus ou moins rétribuées, les comices agricoles, le jeu des influences et des multiples passe-droits ou petits avantages accordés à l’un ou à l’autre. Cette puissance sans partage, mâtinée souvent de paternalisme et tempérée par diverses formes de séduction, s’abritait derrière la mise en scène permanente d’une image aussi lisse, respectable et aimable que possible. Cette image se cristallisait autour de multiples signes de distinction : le beau costume anglais de Monsieur ou ses bottes étincelantes, sa puissante voiture, sa générosité auprès des œuvres, le petit coup de pouce au fils d’un fermier méritant voulant échapper à une conscription lointaine ou dangereuse…  On admirait aussi le dernier chapeau de Madame ou l’étole en renard argenté de Mademoiselle lorsqu’elles se glissaient dans leur banc réservé à l’église. On s’honorait de leur présence au mariage d’un enfant ou de la timbale d’argent offerte pour une communion. Ces relations n’étaient pas toujours exemptes d’empathie réelle, d’affection partagée ou d’un réel attachement.         accueil site

On s’accommodait, ou on se réjouissait, de la main mise de ces notables sur de nombreuses œuvres religieuses de la paroisse, comme l’œuvre de Saint François de Salle, la propagation de la foi, l’œuvre de la Sainte Enfance, la confrérie du Saint-Sacrement, l’œuvre des mères chrétiennes, la congrégation des enfants de Marie ou la ligue patriotique des Françaises. En effet, on était bien loin dans ces années 1910 d’être sortis des convulsions résultant des lois de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, et il existait alors une harmonie totale des clergés et de l’épiscopat avec ces aristocraties locales, fondée sur une opposition partagée aux mesures « anti-religieuses » de la 3ème République et sur le souvenir de combats renvoyant parfois à l’imaginaire des « Blancs » contre les « Bleus » des guerres de Vendée. Certains historiens comme David Bensoussan parlent même de la défense commune d’une « civilisation paroissiale ». Dans sa thèse consacrée « aux droites en Bretagne dans l’entre-deux guerres », ce chercheur rennais évoque par exemple l’inauguration de l’école libre de Pouillé, en janvier 1927. À cette occasion, Mgr. Le Fer de la Motte, évêque de Nantes, remerciait publiquement les « bienfaiteurs de l’école libre » qu’étaient le marquis et la marquise de La Ferronays, tandis que la Semaine religieuse du diocèse rapportant l’événement les décrivait « comme le père et la mère de famille au milieu de leurs enfants, comme les conseillers et les guides vers qui l’on se tourne dans les moments difficiles et que l’on défendrait même au prix de son sang » * .  

* . - Thèse de David Bensoussan. Université de Rennes 2. Les droites en Bretagne dans l’entre-deux guerres. Tensions et déchirements dans un monde catholique et rural. IEP de Paris, 2002.

On assista donc en Loire-Inférieure, et ce jusqu’à la deuxième guerre mondiale, à la tentative de maintenir contre vents et marées une contre-société catholique, non seulement sur le plan religieux mais aussi sur le plan économique, à travers tout un réseau de services commerciaux et financiers s’appuyant lui-même sur le réseau de sociabilité de la noblesse et du clergé. On voyait même des almanachs paroissiaux prescrire des achats dans les « bonnes maisons », proclamant qu’il fallait acheter « chez nous » et fournissant les listes.

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Le traumatisme de la guerre de 14 contribua à désenclaver politiquement les départements bretons qui venaient de payer un si lourd tribu à la défense de la patrie républicaine, mais au lendemain de cette guerre, le poids politique de la noblesse restait encore prépondérant en Loire-Inférieure * . Tandis que nombre de ces notables à particules restaient englués dans leurs illusions monarchistes ou bonapartistes, il fallut  attendre 1926 et la condamnation du mouvement de l’Action française par Pie XI lui-même pour que s’amorçât peu à peu l’émancipation des campagnes catholiques de l’influence politique de l’aristocratie rurale  ** . En effet, le Vatican, sensible aux thèses pacifistes du Nantais Aristide Briand, rechercha alors le compromis avec la 3ème République, et l’alliance entre l’église et les partis royalistes allait commencer à se distendre. 

  *.- C’est ainsi qu’aux législatives de 1919, dans la seconde circonscription de Loire-Inférieure, sont élus sous la houlette du marquis de La Ferronays, les marquis de Dion et de Juigné, le comte Ginoux-Defermon et Jean Le Cour Grandmaison (ce dernier, marquant sa différence avec l’Action française et se rapprochant de Pie XI, sera à nouveau élu en 1928 avec 90,9 % des suffrages exprimés). Dans l’ensemble du département, les droites catholiques obtiennent plus de 50 % des suffrages exprimés, alors que par exemple, dans les Côtes du Nord, les droites n’obtiennent que le tiers des voix. De même, au conseil général, le rapport des forces est de 12 élus de droite pour 36 élus de gauche dans les Côtes du Nord en 1919, alors qu’il est de 33 élus de droite pour 13 de gauche en Loire-Inférieure.

  **. - Suite à la guerre d’Espagne, Pie XII lèvera cette condamnation en 1939.

À la fin des années 20, une première tentative pour réduire la tutelle des propriétaires non exploitants avait eu lieu en Bretagne avec le mouvement des « cultivateurs cultivants », sous l’influence d’ « abbés démocrates » comme l’abbé Mancel * , mais la greffe ne prit pas en Loire-Inférieure. Au contraire, apparurent bientôt des organisations syndicales rurales qui allaient constituer de nouveaux leviers utilisés conjointement par l’église et l’aristocratie. Elles seraient souvent facteurs de progrès techniques mais deviendraient aussi de nouveaux instruments politiques où continuerait de s’exercer la tutelle de la noblesse agrarienne qui avait pris les devants en investissant massivement la chambre d’agriculture et la direction du Syndicat central des agriculteurs. Ce syndicat qui en 1926 comptait près de 12 000 adhérents, ne se cachait pas de ses influences, éditant un bulletin mensuel qui reprenait ouvertement les positions de l’Action française. Se développaient en même temps les caisses rurales et les premières caisses de crédit agricoles, ainsi que les mutuelles d’assurance et les premières coopératives. Autour d’un nouveau journal, La terre nantaise, une myriade de petits syndicats locaux se regroupa alors dans une organisation rivale du Syndicat central, mais ses orientations idéologiques se révélèrent fort peu différentes.          accueil site

  *. - L’abbé Mancel avait jeté les bases d’un syndicalisme agricole indépendant dès 1914. Il fut alors soutenu par Ouest-Éclair (ancêtre de Ouest-France) un journal s’efforçant d’allier les valeurs républicaines avec celles du catholicisme. Ses deux fondateurs, l’abbé Félix Trochu et Emmanuel Desgrées du Loû prirent une part très active dans la lutte contre l’Action française en soutien aux positions de Pie XI. À son congrès d’Antrain en 1926, le mouvement de l’abbé Mancel prit le nom de Fédération des syndicats paysans de l’Ouest. Son journal, Le Progrès rural proclamait qu’un véritable syndicalisme agricole devait s’affranchir de « la tutelle des châtelains, comtes et marquis ». Désavoué par l’archevêque de Rennes et déstabilisé par la crise agricole, sa fédération regroupant 234 syndicats en 1930 fut ébranlée par la concurrence des ligues dorgéristes et celles de syndicats de gauche sous l’influence de Tanguy-Prigent.

La crise économique des années 30 allait entraîner une chute des prix agricoles et un début d’exode rural. Certains paysans se sentant abandonnés et trahis par les élites traditionnelles succombèrent alors aux nouvelles sirènes dorgéristes * . En 1935, se créa à Nantes « un comité d’entente et de défense paysanne », appelé « Front paysan ». Le 14 septembre 1935, sous l’égide de la chambre d’agriculture et en présence de tous les leaders paysans, Dorgères lui-même fut invité à s’exprimer devant plus de 10 000 paysans lors de la foire de Béré. On applaudit son refus des assurances obligatoires et son exorde à fonder une « république corporative et familiale », tout en s’inquiétant néanmoins de ses appels à l’action directe et illégale.

  *. - Henri Dorgères fonda en 1934 les Comités de défense paysanne, appelés aussi Chemises vertes, qui furent ensuite la matrice de  la Corporation paysanne de Vichy.

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Pendant ce temps, le camp républicain animé par des personnalités locales comme le radical-socialiste André Morice, s’était lancé dans une campagne de reconquête politique des campagnes. S’appuyant sur les Jeunesses laïques et républicaines de Loire-Inférieure, il tentait de faire pièce à l’influence des Jeunesses catholiques. Soutenu lui-même par de puissants organes de presse départementaux, comme Le Populaire de Nantes, ou locaux, comme Le Progrès du Pays de Retz, André Morice et ses amis créèrent des réseaux qui à l’occasion du Front Populaire parviendraient à s’ancrer peu à peu dans les campagnes. Dans les circonscriptions rurales où plus de 80 % de la population active travaillait directement à la production agricole, le poids de la noblesse demeurait encore écrasant au moment du Front Populaire, mais cependant, sur les neuf députés envoyés à la Chambre par la Loire-Inférieure, quatre étaient socialistes.

 La citadelle royaliste de Loire-Inférieure ne se rendrait pourtant pas sans combattre et ce n’est qu’après la collaboration directe de nombre de ses membres avec l’occupant qu’elle commença de s’effriter pour de bon, c’est-à-dire après la Libération * . En effet, jusqu’à la période de la guerre, le Comité de la droite avait fait la pluie et le beau temps sur tous les fronts électoraux, trustant les sièges de maires, de conseillers généraux et de députés. De 1920 à 1940, ce comité demeura sous la houlette d’Henry de La Ferronnays, royaliste légitimiste, maire de Saint-Mars-la-Jaille, conseiller général et député d’Ancenis. C’est lui qui, campé dans son château au milieu de 1500 hectares de terre, veillait à ce que ne démaillât pas ce tissu royaliste et catholique très serré couvrant la plus grande part des campagnes de Loire-Inférieure. Toujours secondé par Jacques de Juigné, lui-même possesseur d’un domaine de 3500 hectares autour du château du Bois Rouaud à Cheméré, et par Pierre de Montaigu, châtelain de Missillac.          accueil site

  *. - Rappelons que la première « bascule à gauche » du Conseil Général de Loire-Atlantique n’est intervenue que le 1er avril 2004.

L’historien Franck Liaigre, dans l’ouvrage qu’il consacre à André Morice * , dresse un tableau saisissant des moyens mis en œuvre par ces trois parlementaires pour maintenir ou accroître l’influence du Comité de la droite. Il insiste en particulier sur le lien direct entre la fortune et l’influence, soulignant ainsi qu’Henry de La Ferronnays avait épousé la très riche héritière Françoise de Kerjégu, que Jacques de Juigné avait convolé avec Eudoxie Schneider, fille de l’industriel du Creusot, tandis que Pierre de Montaigu faisait un heureux mariage avec Caroline de Wendel. Tous trois, comme la plupart de leurs pairs, n’hésitant pas à puiser dans leur immense fortune pour asseoir leur domination politique. Tous, à des degrés divers, s’inspiraient des pratiques de la dynastie des de Montaigu sur leurs terres de Missillac, offrant à leurs concitoyens un hôpital, une école, un terrain de football… et une camionnette pour transporter l’équipe ** .

  *8. - L’étrange ascension d’un maire de Nantes (sous-titré : « André Morice, la Collaboration et la Résistance). Les éditions ouvrières, 2002.

 ** - Marcel Grayo, Missillac et sa région au fil des ans. Édité à compte d’auteur, Missillac, 1980.

L’argent servait aussi à financer directement les campagnes électorales, à payer les tournées générales dans les cafés, à aider les œuvres et les associations paroissiales, et enfin à financer les journaux de la bonne presse. Pour Henry de la Ferronays, c’était Le Journal d’Ancenis ; pour Hubert de Montaigu, L’indépendant de Ponchâteau et La presqu’île guérandaise. Franck Liaigre relève que le Comité de la droite avait aussi la haute main sur L’Express du Dimanche, La Terre Nantaise, L’ami de la Vérité. Quant à L’Écho de Paimbœuf, diffusé en 1936 à 12 000 exemplaires, il confiait nombre de ses éditoriaux à la plume d’Augustin Dutertre de la Coudre, député-maire de Machecoul, ou de Jacques de Juigné.

Là où un succès royaliste n’était pas certain, Franck Liaigre remarque que le Comité favorisait l’élection d’un partenaire conservateur ou libéral, en ne lui opposant pas de candidat, et parfois en le finançant. Les obligés « payaient leur dette » en élisant des royalistes à la tête du conseil général, ou en défendant les thèses royalistes à l’assemblée nationale – les prérogatives de l’Église, par exemple, ou le refus de l’impôt sur la fortune. Il en allait de même aux sénatoriales où de nombreux notables locaux n’étaient que des faux-nez du Comité.          accueil site

Avant même le Front populaire du printemps 1936 qui allait cristalliser encore plus ces tendances corporatistes et accentuer la peur des « rouges », avec la crainte de la collectivisation et d’atteintes à la religion et la famille, on passa à deux doigts d’une guerre civile régionale dont les prémisses sont rapportés par Franck Liaigre avec une précision saisissante. Après avoir décrit dans L’étrange ascension d’un maire de Nantes l’emprise grandissante des royalistes sur les associations d’anciens combattants et de familles nombreuses, l’association catholique des chefs de famille, les ligues patriotiques, les associations de commerçants, les syndicats paysans et les organes de presse, il évoque la tentation de cette mouvance multiforme de préparer ses troupes à une restauration jugée inéluctable.

Il est vrai que les échos de la guerre d’Espagne et le grand frisson du front populaire renvoyaient à d’autres terreurs plus anciennes dont le souvenir ne demandait qu’à être réactivé, celles de la Révolution française et des guerres de Vendée. On s’effrayait de l’avancée des « rouges » au-delà des Pyrénées et de leurs exactions contre les prêtres et les femmes, ressassées quotidiennement par radio Sarragosse. Les ligues d’extrême droite prospéraient. Les républicains prirent peur et se dirent prêts à « défendre Nantes contre l’assaut des Croix de feu et des ligues d’Action française ». Le 11 octobre 1936, 40 000 républicains rassemblés sur l’hippodrome de Savenay faisaient le serment de « défendre la République jusqu’au bout ». Il semble bien que l’on n’avait pas choisi Savenay par hasard, où à Noël 1793 s’était achevée par un massacre, la virée de Galerne des Vendéens. L’arrivée des réfugiés espagnols dans les bourgades de la côte, comme à la colonie de Melun à Tharon, exacerba encore un peu plus les tensions, provoquant chez les uns, la solidarité, chez les autres la méfiance.         accueil site

À l’hiver 36-37, les campagnes du pays de Retz redoutèrent à leur tour le spectre de la guerre civile. Franck Liaigre évoque ce rapport de police où on décrit « de bons républicains » affolés se transformant en délateurs et tenant les propos suivants : « Les paisibles citoyens des localités de Saint-Père-en-Retz, Saint-Michel-Chef-Chef et Tharon-Plage vivent sous un régime de terreur dont il est impossible de décrire la situation, tellement ils ont peur ». On signale des « allées et venues d’automobiles mystérieuses ». On soupçonne un complot ourdi derrière les hauts murs des châteaux où on cache des armes et des munitions dans des caves et des souterrains. À Saint-Père-en-Retz, un dénonciateur évoque une liste établie par un châtelain « qui n’attend que les ordres de haut lieu pour fusiller les honnêtes républicains marqués à l’encre rouge » !

Au-delà de ces terreurs largement fantasmées, l’année 1937 vit se développer une intense campagne des « chemises vertes » dorgéristes, ponctuée de nombreux meetings rassemblant des milliers de participants, dont un à Saint-Père-en-Retz le 2 mai 1937. La petite bourgade abritait aussi quelques militants maurassiens se présentant ouvertement comme Camelots du Roi. Dans le même temps, se développait une autre organisation d’extrême droite, celle du Parti social français du colonel de La Rocque, nouvelle mouture de la Ligue des Croix de feu dissoute en 1936. Le 3 janvier 1937, le PSF tenait un meeting à Nantes qui rassemblait 20 000 participants dans l’ancienne usine Marcel Saupin * . Allait-on vers un fascisme à la Française ? De nombreux leaders paysans rechignaient à cette tentation, même si trois ans plus tard, les mêmes se rangeraient derrière la « révolution nationale » du régime de Vichy.          accueil site

  *. - Dans son ouvrage Paysans de Loire-Atlantique – 15 itinéraires à travers le siècle (Éditions du Centre d’histoire du travail, novembre 2001), le chercheur René Bourrigaud, spécialiste de la question paysanne en Loire-Inférieure, signale la présence au banquet suivant ce meeting, des marquis de La Ferronays et de Juigné. À noter que le PSF devient alors le premier parti de France avec un million d’adhérents. S’appuyant sur les associations d’anciens combattants et les ligues patriotiques, hostile au parlementarisme et partisan d’un christianisme social, François de La Rocque dénonce conjointement Hitler et Staline, contrairement à d’autres formations d’extrême droite tenant de la thèse « plutôt Hitler que Staline ». Fidèle jusqu’au bout à la figure de Pétain dont il a inspiré le slogan « Travail, Famille, Patrie », il verra néanmoins dans la collaboration du régime de Vichy le soutien à cette nouvelle forme de paganisme que représente pour lui le nazisme. Il finira par être déporté en Tchécoslovaquie par les Allemands en 1943.

À l’automne 1940, se créa l’Union paysanne corporative de la Loire-Inférieure. Le fruit était mûr pour un alignement complet quelques mois plus tard sur la politique de collaboration du maréchal Pétain, « grand ami et grand admirateur du paysan qui allait rebâtir la maison » ! Le 5 avril 1941, lors de leur première assemblée générale, les dirigeants de l’UPC votèrent à l’unisson une adresse au maréchal Pétain où ils lui exprimaient « leur profond respect et leur admiration pour l’œuvre de redressement national qu’il avait si courageusement entreprise. Ils le remerciaient de l’attention qu’il portait à l’agriculture française et à la classe paysanne dont il poursuivait chaque jour le relèvement matériel, moral et professionnel. Ils lui affirmaient leur absolue confiance et l’assurance de leur entier dévouement » * . Allait s’ensuivre la grande parenthèse de l’Occupation. La Corporation paysanne de Loire-Inférieure supplantant alors toute autre organisation, connut de multiples affrontements internes entre ses leaders ** mais parvint néanmoins à développer une politique de « formation sociale rurale agricole et ménagère », multipliant  les « cours communaux » encadrés par des moniteurs issus de la JAC *** , des prêtres ou des instituteurs.          accueil site

  *. - Extrait du bulletin N° 15 du 12 avril 1941 de l’Union paysanne corporative, rapporté par René Bourrigaud dans le même ouvrage.

  **. - Signalons par exemple les rivalités entre Albert Boucher, authentique paysan de Montbert qui deviendra le premier président de la FDSEA à la Libération, et Raymond Lefeuvre, grand propriétaire de Cheméré et président de la Chambre d’agriculture.

  ***. - À noter qu’à partir de 1941, les destinées de la JAC sont aux mains d’un nouveau président, René Colson. Tenant d’un christianisme social affranchi des cadres politiques de l’Action française, il n’aura de cesse de faire évoluer de nombreuses questions : celle de la formation technique et professionnelle, celle des loisirs partagés entre garçons et filles, celles de la prise en compte des aspirations spécifiques des femmes…

Parallèlement, l’existence en Loire-Inférieure d’un vaste vivier d’organisations d’extrême droite, favorisait le recrutement des éléments les plus troubles par des groupes de collaboration engagés directement au service de l’occupant et se livrant à un travail de police supplétive. C’est ainsi que la milice de Marcel Bucard * , procéda au démantèlement d’un réseau de résistance affilié au réseau Buckmaster tentant de s’implanter en pays de Retz. Entre le 8 et le 12 septembre 1943, les miliciens de Bucard, assisté du gestapiste allemand Rippert, allaient en effet procéder à l’arrestation des résistants Raballand, père et fils à Chauvé, Lucien Godfrin à Pornic, Vital Bahuaud, Jean Labédie, Henri Dousset, et Pierre Coquelorge à Saint-Père-en-Retz. Tous seront déportés et les trois derniers nommés ne reviendront pas **

  *. - Marcel Bucard, fondateur des milices francistes - et avec Déat et Henriot de la LVF - fut fusillé le 19 mars 1946. Ses groupes de « chemises bleues » étaient actifs sur la côte de Jade, en particulier à Pornic.

  **. - On peut lire le récit détaillé de ces arrestations dans Une si longue occupation,du même auteur(Geste éditions 2005).

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Le 12 octobre 1944, après la dissolution des organisations corporatistes, se créa à l’instigation du GPRF du général de Gaulle, un Comité national d’action agricole. La loi du 13 avril 1946 sur le statut du fermage établissait enfin un droit rural protégeant le fermier contre les abus de la propriété foncière. Ce statut garantissait la stabilité du bail et la liberté d'exploitation. Lors de la sortie, il indemnisait le fermier s'il y avait eu amélioration de l'outil (par exemple mise aux normes des bâtiments d’élevage), accordait la priorité aux enfants du fermier dans la reprise du bail. Il permettait même au fermier de devenir propriétaire grâce au droit de préemption. Les prix du fermage étaient encadrés par arrêté préfectoral. Et enfin, les règles du fermage relevant désormais de "l'ordre public", prévalaient en cas de litige.

En janvier 1945, paraissait le premier numéro du Paysan nantais, acte précurseur de la fondation d’un nouveau syndicalisme agricole unifié qui se concrétiserait le 15 juin 1945 lors de l’assemblée générale constitutive de la FDSEA, dont les dirigeants étaient en majorité de véritables paysans. Parallèlement à cette autonomisation des syndicats paysans par rapport à des élites nobiliaires travaillant au maintien de leur propre suprématie, on assista aussi du côté du clergé rural à des évolutions qui allaient permettre à nombre de jeunes paysans catholiques de se former à la prise de responsabilité. C’est la JAC qui allait concrétiser le mieux cette évolution. Ce mouvement de jeunesse créé en 1929, animé par des prêtres volontaires, ouverts à la fois aux questions spirituelles et sociales, allait constituer une école de formation exceptionnelle pour nombre de jeunes ruraux retrouvant la fierté d’être paysans. Dans les « cercles d’études » de la JAC, on s’efforçait de mettre en pratique la célèbre formule « voir, juger, agir ». On apprenait à analyser sa propre situation, à formuler une pensée autonome, à confronter ses points de vue, à s’exprimer en public, à s’organiser. On se sentait encouragé à exprimer des manques et des critiques, voire même une révolte, aussi bien face à la génération des parents que face aux pouvoirs des hobereaux et de leurs alliés les plus rétrogrades au sein même du clergé. On sortait enfin du champ privé de la religion, avec ses pratiques exclusives de renforcement spirituel et moral qui avaient cours avant guerre, pour aborder de front les questions syndicales et politiques.          accueil site

Toute l’année 1949 fut consacrée à la préparation du congrès  organisé à Paris du 13 au 15 mai 1950, pour le 20è anniversaire de la JAC. Sur les 70 000 participants, 2 000 affluèrent de Loire-Inférieure. L’affiliation catholique était rappelée, mais aux objectifs strictement religieux se trouvaient officiellement substitués des objectifs de formation et d’engagement beaucoup plus vastes permettant de croiser d’autres militants, d’autres milieux, d’autres classes sociales… Les jeunesses agricoles catholiques allaient bientôt pouvoir rencontrer les jeunesses ouvrières, mais aussi les prêtres ouvriers, découvrir de nouveaux journaux comme Témoignage chrétien… Avant la nouvelle rupture morale et psychologique que devraient affronter nombre de ces jeunes paysans entraînés à leur corps défendant dans les guerres coloniales.

 Ce n’est en définitive qu’à partir des années 50 que le « bloc agraire » rangé derrière le « clocher » et le « château » allait définitivement se fissurer pour laisser émerger de nouvelles forces politiques organisées d’abord par la Démocratie chrétienne, puis peu à peu par des syndicats et des partis que n’effrayerait plus le mot de « socialisme ». L’émancipation progressive de la jeunesse rurale serait le marqueur d’une lente évolution de l’ensemble du corps social auquel elle appartenait, car il va sans dire qu’en même temps que les campagnes, évoluaient aussi les bourgs, avec leurs artisans et leurs commerces. La tenue vestimentaire, les envies et les loisirs de la ville et des champs allaient même se ressembler de plus en plus.        accueil site

Lorsque la génération des fils nés dans les années 30 commença à remplacer celle des pères, c’est tout un monde rural qui commença à basculer. Après la guerre de 14, il fallait acquérir de la terre, après celle de 39, il fallut acheter un tracteur. De « cultivateur » on devint « agriculteur », ce qui s’accompagna de rapides progrès techniques, aussi bien sur le plan de la mécanisation que sur celui des méthodes culturales. Bientôt on ne parlerait plus de ferme mais d’exploitation. La mécanisation et les progrès techniques de tous ordres s’accompagnèrent d’une concentration rapide des terres et d’un exode rural inexorable. Le développement des coopératives et des CUMA, le bouleversement du marché des produits agricoles achevèrent alors de faire éclater définitivement les particularismes politiques et sociaux des campagnes du pays de Retz.

 

Michel Gautier, décembre 2009

 

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