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LA DEMARCHE DE L'AUTEUR

portrait Michel Gautier
 

À travers le tableau de l'occupation ordinaire d'une région française de l'Ouest,

rechercher dans la petite histoire, l'écho de la grande Histoire et retrouver les traits communs à toute une France occupée, de 1940 à la Libération,

dessiner le portrait d'une société rurale faisant le gros dos, s'adaptant aux circonstances, ou résistant tant bien que mal à l'Occupation, à une époque où les paysans sont encore des "cultivateurs",

reconnaître les souffrances d'une génération dont les plus belles années furent volées par la guerre, croiser les portraits des civils et des militaires des deux camps et restituer les combats de 40 comme ceux des derniers mois de la Libération,

marcher sur la trace des soldats de la Campagne de France avant de les suivre dans les stalags et les baraques de la captivité ; décrire l'amertume des réfractaires, des travailleurs forcés du STO et des requis des chantiers Todt,

recueillir la parole retenue des résistants de la première heure, les grandes angoisses et les petites gloires des maquisards,

entrer dans la complexité d'une "guerre de poche" où occupants et occupés partagent le toit, les vivres et la même angoisse des derniers jours de siège, pendant que de jeunes maquisards en provenance du Limousin ou de Vendée montent la garde en attendant l'assaut,

partager tant qu'il est encore temps la mémoire vive des derniers témoins et la transmettre aux générations futures.

Tels sont les objectifs que je me suis assigné depuis plus de 20 ans en m’efforçant de construire un récit historique à partir des archives de guerre locales et des témoignages des protagonistes de la période 39-45, simples témoins ou acteurs majeurs de la libération de leur région.

On peut aussi écouter une émission de radio de Jade FM où Véronique ROUL interroge l'auteur sur sa démarche, les ressorts biographiques qui ont déclenché sa recherche et le lien entre cette recherche historique rassemblée dans ses livres et le circuit de tourisme mémoriel qu'il anime, appelé Chemin de la mémoire 39-45 en Pays de Retz.

À travers ces deux engagements, il s’agit pour lui de chercher les moyens les plus pertinents pour partager une histoire complexe avec les derniers témoins de l’époque, leurs descendants, les visiteurs en provenance d’autres régions ou d’autres pays.

En guise de conclusion, quelques réflexions sur notre fascination pour “les récits de guerre” (postface à Poche de Saint-Nazaire) 

J’ai voulu dans ce livre conclusif apporter les dernières retouches à un portrait de cette poche de Saint-Nazaire qui fut la plus vaste, la plus peuplée et la dernière libérée. En filigrane, j’ai aussi tenté de restituer le grain d’une époque encore en « noir et blanc ». Dès le lendemain de la Libération, on se hâta d’oublier la grisaille et les privations pour raviver les couleurs de la vie, mais ces années 39-45 constituèrent la matrice secrète de toute une génération, celle des « millions de beaux bébés » que de Gaulle souhaitait donner à la France en 1945. Cette génération du baby-boom qui impulsa les « trente glorieuses », partage avec ses enfants le privilège de n’avoir pas connu la guerre, mais elle garde aussi une forme de nostalgie mêlée de reconnaissance pour ses propres parents et grands-parents qui furent les témoins, acteurs ou victimes de ce dernier cataclysme mondial. Nous demeurons les enfants de cette Histoire, et à notre insu, elle pèse sur nous et détermine nombre de nos angoisses, de nos affects ou de nos codes de lecture d’un monde toujours inscrit dans le grand jeu des équilibres entre guerre et paix.

Entre 1940 et 1945, il y eut dans notre pays mille façons de souffrir et de mourir. Chaque victime a pris depuis sa densité historique mais il ne suffit pas d’être mort les armes à la main pour occuper un rang d’égal mérite sur les arcs de triomphe. Quoi de commun dans les livres d’histoire, les évocations littéraires ou cinématographiques, entre la mort d’un GI sur les plages normandes, celle d’un biffin tentant de contenir le déferlement des Panzers sur la Meuse en 1940 et celle d’un maquisard en sabots du Vercors, de Saint-Marcel ou de Chauvé ? La gratitude et la gloire accompagnent le premier alors que l’oubli, teinté au mieux de commisération, recouvre peu à peu le souvenir des derniers. Quant à la souffrance des civils, on n’a inventé jusqu’ici nulle médaille ou commémoration pour la distinguer ou la reconnaître. La Libération revêtit elle-même des formes si diverses : celle de l’exaltation et de l’euphorie parisienne, de la destruction et du deuil de masse dans les ruines des villes normandes ou de Royan, et celle de l’épuisement d’un siège quasi médiéval dans la poche de Saint-Nazaire... En creusant à l’os la mémoire de ce siège, j’ai souhaité révéler la trace d’une blessure cachée. C’était sans doute une raison suffisante pour écrire ce livre, mais on en trouverait bien d’autres…

Il semble bien en effet que cent ans après la première guerre mondiale, ou soixante-dix ans après la seconde, notre imaginaire de guerre ne soit pas encore rassasié et trouve toujours à s’alimenter à l’inépuisable fonds d’archives collectives rassemblées par les soldats et les armées de tous les camps, par les familles des héros, des victimes et des martyrs, mais aussi par la foule des petites gens dont l’histoire ne rencontre jamais d’historien. C’est ainsi que, chaque semaine, je reçois encore des témoignages ou au contraire des demandes d’information concernant tel événement ou tel personnage. La petite, mais aussi la grande histoire qui s’écrit et s’épure à chaque génération, s’alimente à ce creuset pour produire des livres, des films, des portraits, des récits effrayants ou édifiants qui viennent réveiller et alimenter nos terreurs archaïques, nos réflexes combattants, notre goût du sacrifice, voire notre surmoi héroïque. Et nous sommes encore et toujours affamés de ces images et de ces récits, quand bien même les sensibilités et les affects ont changé. Il n’est plus question de « mourir pour la patrie », d’occire les Alboches ni de « vaincre le fascisme », et les « raisons légitimes » d’une « bonne guerre » ne nous semblent plus très évidentes. Cependant, nous voyons chaque jour s’étaler sur nos écrans des images de combattants engagés dans des conflits inexpiables qui, eux, ont bel et bien trouvé de bonnes raisons pour alimenter leur passion guerrière… Y compris sur notre continent européen. 

C’est bien cette angoisse diffuse qui sous-tend notre goût pour les « histoires de guerre » et sans doute pour « l’Histoire » elle-même qui permet tour à tour de désamorcer et de recharger cette angoisse. Comment jouir de la vie et penser la guerre ? Même la veille c’est encore la paix et pourquoi gâcher ces précieuses minutes ? Et pourtant, qui ne s’est jamais posé cette question en lisant le récit d’une bataille ou en se rencognant dans son fauteuil devant les images insoutenables d’un bombardement, d’une séance de torture ou d’un simple combat de fantassins rompus à l’art de l’embuscade : « Et si c’était moi ? » Moi, sous les bombes, moi, dans une tranchée ou face au bourreau, moi, devant donner la mort ou risquer ma peau ! Et rôde alors une autre question : « Le jeu en vaut-il la chandelle, et qui se souviendra du héros » ? Qui peut se vanter en temps de paix de répondre avec assurance à une seule de ces questions ? Et sans doute faut-il souhaiter n’avoir jamais à y répondre.

Michel Gautier, 2015

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